Être frappé par un deuil, quelle qu’en soit la nature, conduit inévitablement à une violente remise en cause, un chamboulement de notre perception de la vie, de la mort, de la société, de notre entourage et des autres en général, et même de nous-mêmes. On ne voit plus les choses de la même manière. Quoi de plus normal ? Quoi de plus naturel ? N’avons-nous pas tendance, individuellement et collectivement, à vivre comme si la mort n’existait pas, la nôtre comme celle des nôtres ? Ce n’est ni une faiblesse ni un déni de réalité, mais une façon de nous protéger.
Il est important de savoir qu’un deuil entraîne des bouleversements de trois ordres : physiques, psychologiques et psychosociaux. Sur le plan physique, citons vertiges, troubles du sommeil, perte d’appétit, difficultés de concentration, palpitations, lourdeurs musculaires… ils surviennent parfois mais seront temporaires.
Sur le plan psychologique, citons, au-delà de la tristesse, colère, doute, peurs diverses, culpabilité… Sur le plan psychosocial, évoquons le sentiment d’injustice et d’abandon, le désir d’isolement, l’occupation forcenée pour tenter d’oublier, le sentiment d’impuissance…
Connaître ces conséquences permet de les appréhender plus sereinement. Elles sont « normales », car c’est ainsi que le corps et l’esprit réagissent. Avec une intensité variable, bien sûr, en fonction des individus et de la nature du deuil.
Nous parlons communément de « faire » son deuil. Expression passe-partout, guère satisfaisante (on dit aussi « refaire » sa vie, de manière impropre), mais l’idée qu’elle exprime vaut mieux que sa formulation. Tous les spécialistes sont d’accord pour affirmer que le chemin du deuil se déroule par étapes, par paliers, pas après pas. Certes au rythme de chacun et pas de manière linéaire. Toutefois, ces mêmes étapes se retrouvent, avec toutes les nuances possibles, face à chaque deuil. La route de l’apaisement de la souffrance est faite de va-et-vient, de cycles, de zigzags, de détours. Elle peut être longue et chaotique, mais elle mène toujours au même but : le retour de la sérénité et de la force pour affronter l’avenir. Avec un allié fidèle : le temps.
Les étapes du deuil
Chacun a entendu parler des cinq « étapes du deuil, cette grille classique qui se veut le reflet de l’évolution de l’état d’esprit des personnes endeuillées et du fonctionnement général de reconstruction du cerveau humain face à des événements traumatisants. Comme le deuil en premier lieu, mais aussi un licenciement ou une rupture amoureuse.
Toutefois, certains experts reprochent à cette grille son caractère rigide et systématique et contestent que ces étapes se succèdent les unes aux autres dans un ordre précis et invariable.
Avec les réserves nécessaires et l’affirmation que tout le monde ne passe pas par ces cinq étapes ni toujours dans le même ordre et que le deuil n’est pas réductible à un modèle et dépend de chacun, il est néanmoins intéressant et important de connaître ces étapes, susceptibles de nous aider à mieux comprendre et entreprendre le « travail de deuil ».
La première phase est le déni. Consécutive au choc provoqué par la mort, elle consiste à refuser, de façon consciente ou inconsciente, d’admettre la réalité du deuil qui vient d’intervenir. Cette étape, qui survient juste après le deuil est courte, mais brutale et intense. On entend parfois « non ce n’est pas possible ! » « je n’arrive pas à me rendre compte »
La deuxième phase est la colère. Elle arrive une fois que la réalité de la situation n’est plus contestable, que sa dénégation n’est plus possible. La personne endeuillée peut alors éprouver, à la place, un sentiment de colère, d’injustice et de ressentiment envers elle-même ou envers les autres. L’équipe soignante a-t-elle bien fait son travail ? Moi-même ai-je fait ce qu’il fallait ? En cas d’accident de la route on en veut bien sûr au responsable. Cette phase peut se traduite par un comportement violent et vindicatif.
La troisième phase, souvent plus confuse, est appelée celle du marchandage. La personne endeuillée cherche alors à faire « revivre » la personne disparue, comme si un retour au passé était encore possible. Certains se tournent vers la religion, parfois vers l’irrationnel. Le terme de marchandage s’explique par le fait que, généralement, ces demandes sont faites en échange de promesses, d’engagements, elles aussi souvent irrationnelles. (« Rendez-moi l’être aimé et je m’engage à… »).
La quatrième phase est dite celle de la dépression. Elle marque le début de l’acceptation de la situation. La personne endeuillée comprend qu’il n’y aura pas de retour en arrière et que nul n’y pourra rien. En réalisant cela, elle plonge dans un état de grande tristesse, voire de dépression. Cette phase est considérée comme la plus longue et pouvant comporter des allers-retours avec les phases précédentes. Le risque de volonté d’isolement s’y manifeste fortement. L’entourage doit y être très vigilant.
Enfin, l’ultime phase du processus de deuil est celle de l’acceptation. De la résignation. C’est à ce moment-là que peut commencer la reconstruction, la sortie de l’isolement et le retour vers une vie normale, réinventée sans la présence de la personne disparue.
Un confident, une épaule
Les autres n’ont pas envie de regarder votre souffrance en face et ne peuvent pas comprendre ce qui se passe en vous. Pour une simple et bonne raison : ils ne sont pas à votre place, comme vous ne serez pas à la leur lorsqu’ils seront à leur tour frappés par un deuil.
Toutefois, il se révèle essentiel de pouvoir compter sur une personne – frère, sœur, ami(e), professionnel du soin… – susceptible de vous écouter, de vous accueillir, sans condition, sans jugement, bienveillante et discrète à la fois. Bien sûr, pouvoir s’appuyer sur une telle présence est une grande chance, mais pourquoi ne pas y penser préventivement ?
Ces phrases inaudibles
« Va de l’avant », « la vie est plus forte », « arrête de pleurer, tu te fais du mal » … Ah, que ces petites phrases sont maladroites et peuvent être dévastatrices ! Et pourtant, combien de personnes confrontées au deuil les ont entendues ? Sans oublier les interlocuteurs qui ne peuvent s’empêcher d’évoquer leur propre expérience du deuil sans prendre le temps d’écouter. La meilleure façon d’accompagner une personne en deuil est de suivre ses désirs : l’écouter si elle a envie de parler, ne rien dire si elle préfère penser à autre chose, lui proposer une activité à faire ensemble…
Évoquer la personne disparue
Les accompagnants du deuil en ont fait l’expérience à travers les personnes endeuillées qu’elles ont suivies : il se révèle salutaire pour elles d’évoquer, oralement ou par écrit, l’être disparu, les moments partagés, des souvenirs divers, des mots, des expressions, la fin de l’histoire. Mais aussi les incompréhensions, les difficultés, les regrets. Ne pas faire le tri pour ne garder que le bon, même si c’est tentant. Ecrire permet de mettre à distance la douleur et de ne pas oublier le capital de bons moments passés.

Crédit : @dream79
Pour aller plus loin
- Vivre le deuil au jour le jour : réapprendre à vivre après la mort d’un proche, de Christophe Fauré, Ed. Albin Michel.
- Sur le chagrin et le deuil : Trouver un sens à sa peine à travers les cinq étapes du deuil, de David Kessler et Elisabeth Kübler-Ross, Ed. Pocket.
- Vivre avec nos morts, de Delphine Horviller, Ed. Grasset.