Chacun se souvient du slogan « les antibiotiques, ce n’est pas automatique ! ». Aujourd‘hui, un sujet médical de grande ampleur alerte la communauté scientifique et, au-delà, la population. Il s’agit de l’« antibiorésistance ».
De quoi s’agit-il ? Du phénomène consistant, pour une bactérie*, à devenir résistante aux antibiotiques* qui se révèlent alors inefficaces. On constate que, de plus en plus, les bactéries exposées aux antibiotiques se transforment et développent des mécanismes de défense, via les enzymes*, qui leur permettent d’échapper à leur action et les rendent ainsi inopérants.
Aujourd’hui, en France, l’antibiorésistance serait responsable de 125 000 infections difficiles à soigner et de 5000 décès et de 700 000 décès par an dans le monde. Avec des perspectives infiniment plus sombres pour les décennies à venir. En effet, une étude de la célèbre revue médicale The Lancet estime que l’antibiorésistance pourrait causer jusqu’à 39 millions de morts dans le monde d’ici à 2050, dues à des infections résistantes aux antibiotiques.
En réalité, les bactéries ont toujours trouvé des parades pour se défendre, c’est dans leur « nature » -même ; mais, étant de plus en plus agressées par les antibiotiques toujours plus massivement utilisés, elles ont peu à peu développé des systèmes de résistance de plus en plus sophistiqués et nombreux. L’antibiorésistance est la conséquence de la modification de l’ADN, c’est-à-dire de la composition, des bactéries.
Ce phénomène se produit lorsque les bactéries sont trop fréquemment au contact des antibiotiques : au fil du temps et des générations, leur ADN se transformant, elles acquièrent des mécanismes de défense qui les rendent plus résistantes aux antibiotiques. Par exemple, les bactéries peuvent modifier leur aspect, avec pour conséquences que les médicaments ne seront plus capables de les reconnaître et de s’y accrocher ! Ou bien, autre stratagème étonnant, elles vont se doter d’une membrane imperméable. Enfin, certaines modifications génétiques leur permettent de synthétiser des enzymes capables d’« abîmer » ou de dégrader les antibiotiques. Un système de défense qu’elles sont même capables de transmettre à d’autres bactéries, simplement en les côtoyant. On voit que les bactéries sont des organismes particulièrement rusés et capables de multiples systèmes de protection, de « résistance » destinées à leur survie.
Comme ce phénomène de résistance est lent, il peut passer inaperçu pendant longtemps. C’est ce qu’il s’est produit. Mais, aujourd’hui, il a pris une telle ampleur qu’il est devenu un problème majeur de santé publique qui fait dire aux spécialistes qu’il s’agit là d’une « pandémie silencieuse ».
Précautions et espoirs de progrès
Cette recommandation est d’autant plus à suivre si on se trouve en présence de personnes fragiles dont l’immunité est plus faible.
Il faut savoir aussi que plus on prend d’antibiotiques, plus on augmente le risque d’antibiorésistance. En effet, lorsqu’on répète les traitements, on éradique les bactéries les plus sensibles, mais, dans le même temps, celles qui survivent développent des mécanismes de défense via des mutations génétiques. Or en dépit des mises en garde, la consommation d’antibiotiques, loin de diminuer, est repartie à la hausse (+ 14 % en 2022 par exemple).
Trois conseils en cas d’utilisation :
- Toujours demander l’avis d’un médecin, ne pas réutiliser une vieille boîte même si les symptômes sont similaires et ne jamais interrompre un traitement en cours.
- Les voyages lointains sont également une source de propagation. Ainsi, les spécialistes estiment que 80 % des voyageurs transitant dans la zone intertropicale reviennent avec une bactérie multirésistante dans leur tube digestif (100 % de retour d’Inde, par exemple). Heureusement, dans la plupart des cas, le germe est naturellement éliminé par l’organisme dans les trois mois qui suivent le retour. Mais s’il persiste, il peut se manifester plusieurs années après, notamment en période de fatigue ou d’affaiblissement de l’organisme.
La consommation d’antibiotiques, souvent en dehors du système médical, est une des causes majeures de ce phénomène croissant d’antibiorésistance. Par exemple, chez les animaux, dont nous consommons la viande. Une moindre consommation diminue donc le risque de contamination.
Toutefois, de nouveaux traitements arrivent, notamment grâce à des antibiotiques mieux ciblés et des améliorations du traitement des infections qui pourraient atténuer les conséquences du phénomène. Ainsi, si dans les années 2000, 40 % des staphylocoques dorés se révélaient résistants aux antibiotiques, la mise en place de politiques de bon usage des antibiotiques, des mesures d’hygiène et des traitements nouveaux ont permis de baisser le taux de résistance à 15 %. Toutefois, ils demeurent responsables de nombreux décès, en raison de leur résistance à la méticilline, cet antibiotique censé le combattre. C’est précisément sur ce dernier que portent de nombreux travaux dans le monde avec, semble-t-il, des résultats encourageants. D’après certains chercheurs, ils pourraient déboucher à moyen terme sur la découverte d’un vaccin à large spectre susceptible d’immuniser contre les bactéries les plus dangereuses afin d’éviter d’avoir à les combattre par des antibiotiques, contribuant ainsi à atténuer le phénomène de l’antibiorésistance.
Une autre voie de progrès face à l’antibiorésistance est la mise au point de nouveaux antibiotiques, notamment pour lutter contre les classes de bactéries les plus résistantes. La très récente découverte de nouvelles espèces d’entérocoques jamais identifiées représente aussi un grand espoir. De quoi s’agit-il ? Les entérocoques sont des bactéries connues pour leur forte capacité à résister aux antibiotiques et, de ce fait, source majeure d’infections nosocomiales, particulièrement après des interventions chirurgicales. Leur découverte ouvre des pistes de recherches prometteuses pour comprendre la propagation des gènes de résistance et, donc, développer des stratégies efficaces contre eux.
Les chercheurs y travaillent activement, mais les bactéries ont « pris de l’avance », d’autant plus que pendant longtemps l’industrie pharmaceutique s’est désintéressée de ce domaine de recherche pour des raisons de profit. Leur rendement économique est bien moindre que, par exemple, le traitement des maladies chroniques, plus rentable.
Plus la consommation d’antibiotiques baissera, plus ce phénomène de l’antibiorésistance baissera aussi ! Une « politique de bon usage des antibiotiques » passe nécessairement par une diminution de leurs prescriptions. La France a, dans ce domaine, des progrès à faire : elle en est la 4e prescriptrice en Europe.
Au-delà de tous ces constats face à l’antibiorésistance, reste un élément essentiel : les antibiotiques sont indispensables. Ils ont permis d’accroître de 10 ans notre espérance de vie. Ce n’est quand même pas rien !
Un plan sur 10 ans
Sous l’égide des autorités de santé, diverses mesures ont été adoptées depuis 2015 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour « la prévention et la résistance de l’antibiorésistance et la lutte contre la résistance aux antimicrobiens ». Dans ce cadre, la France vient d’adopter un plan 2024-2034 pour intensifier ce combat. Il tient en cinq points essentiels :
« 1. Engager chacun des acteurs : développer une politique pérenne desensibilisation, formation et communication au bénéfice des populations et partiesprenantes pour leur permettre de comprendre et d’agir sur la résistance auxantimicrobiens. Cette politique mobilisera les acteurs des politiques publiques de santé, aux niveaux national, régional et local.
- 2. Développer la recherche : parvenir à une meilleure compréhension des
mécanismes d’émergence et de diffusion de la résistance aux antimicrobiens,
appuyer les activités et projets de recherches associés dans les différents secteurs,
renforcer la recherche-développement de nouveaux outils de diagnostic, d’aide à
la décision, d’approches alternatives aux antibiotiques et de nouveaux
médicaments.
- 3. Renforcer la coordination des outils de surveillance intégrée : mettre en place
des modalités de surveillance partagée intégrant les différents secteurs et des
indicateurs communs et territorialisés d’usage d’antimicrobiens et de résistances ;
- 4. Préserver l’arsenal des produits existants, optimiser son utilisation et innover
pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens : amplifier la capacité d’un
continuum de recherches jusqu’à la mise sur le marché de nouvelles thérapeutiques,
préventives ou curatrices, ou de tests diagnostiques innovants et optimiser ou
repositionner l’usage des thérapeutiques et tests diagnostiques existants en santé
humaine et animale.
- Affirmer la place de l’équipe France, force motrice en Europe et à
l’international.»